Par NJ Ayuk, Président de la Chambre Africaine de L’énergie
À l’approche de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (plus connue sous le nom de COP27) qui se tiendra en Égypte en novembre 2022, Benedict Oramah, président d’Afreximbank, a rédigé un commentaire réfléchi et convaincant sur l’impact économique et social du désinvestissement de la production de combustibles fossiles en Afrique. L’utilisation des combustibles fossiles étant à l’origine de 65 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), le désinvestissement est au cœur du programme mondial de lutte contre le changement climatique, et de nombreuses banques occidentales ne financent plus d’investissements dans le pétrole et le gaz africains.
M. Oramah n’est pas un négationniste de la science du climat ni un défenseur des combustibles fossiles à tout prix. Dans son document, il est franc et honnête quant aux effets que la hausse des températures a déjà eus sur le continent, citant les ravages causés par les phénomènes météorologiques extrêmes – tempêtes de pluie désastreuses d’une part, sécheresses catastrophiques d’autre part. Il jette un regard prudent sur l’avenir, reconnaissant que les régions en développement du monde, comme l’Afrique, sont plus menacées par le changement climatique que les nations développées.
Dans son commentaire intitulé « Transiter vers une croissance verte dans les économies dépendantes des exportations de combustibles fossiles : Une voie pour l’Afrique », M. Oramah reconnaît qu’une action climatique urgente est vitale et qu’il n’est plus temps de tergiverser.
Dans le même temps, M. Oramah ne néglige pas le fait que les combustibles fossiles financés par des capitaux étrangers ont été le moteur économique de nombreuses nations africaines. Il n’omet pas non plus de mentionner que, les grandes compagnies pétrolières se trouvant à l’extrémité de la pression de désinvestissement et cherchant des actifs « moins risqués », l’investissement dans le secteur pétrolier et gazier du continent a considérablement diminué, passant de 60 milliards de dollars en 2013 à 22,5 milliards de dollars en 2020 selon les estimations de la Chambre africaine de l’énergie. On frémit à l’idée de ce qu’il adviendrait des principaux pays exportateurs de pétrole du continent, notamment l’Algérie, l’Angola, la Guinée équatoriale, le Gabon, la République du Congo et le Nigéria. Le Gabon, la République du Congo et le Nigeria, où les combustibles fossiles représentent entre 7 % et 37 % du PIB, seraient touchés par l’évaporation totale de l’industrie pétrolière. Comme le souligne M. Oramah, « le désinvestissement des combustibles fossiles pourrait réduire le PIB du Nigeria de 30 milliards de dollars et celui du continent de près de 190 milliards de dollars ». Les répercussions sociales et économiques – dont certaines se font déjà sentir avec le resserrement des investissements – seraient profondes : les recettes d’exportation se tarissent, les usines dépendantes des combustibles fossiles ferment, le réseau déjà limité alimenté par les combustibles fossiles est encore plus sollicité, des emplois sont perdus et la pauvreté se propage encore plus loin dans un nombre encore plus grand de communautés.
Et, bien sûr, la toile de fond de tout cela est le fait que nulle part ailleurs il n’y a un déficit d’électricité comme celui de l’Afrique. Six cent millions de personnes vivent encore sans source d’énergie fiable.
Heureusement, le commentaire du Dr Oramah n’est pas dénué d’espoir. Il pose une question intéressante : Est-il possible de concilier les objectifs mondiaux de réduction des émissions de carbone avec le droit de l’Afrique à utiliser ses ressources et de réaliser une transition plus douce et « moins douloureuse » vers les énergies renouvelables ? Il répond par une solution prometteuse : utiliser les revenus des combustibles fossiles « pour soutenir une diversification économique ordonnée et des programmes de transformation structurelle et, surtout, pour maintenir des moyens de subsistance économiques significatifs pour la population la plus vulnérable ».
Selon M. Oramah, la structure institutionnelle permettant d’atteindre ces objectifs est une banque africaine de l’énergie, que sa banque s’efforce de mettre en place en partenariat avec l’Organisation des producteurs de pétrole africains (APPO).
La Banque africaine de l’énergie devrait atteindre quatre objectifs clés :
- Restaurer et démultiplier les flux d’investissements africains et mondiaux dans l’industrie pétrolière et gazière du continent au cours d’une période de transition.
- Mobiliser des fonds pour soutenir les investissements dans la chaîne de valeur énergétique de ses membres.
- Augmenter les investissements dans la production et la logistique des carburants de transition.
- soutenir la diversification des économies dépendantes des combustibles fossiles afin d’atténuer le coût économique de la transition.
En outre, a écrit M. Oramah, la banque encouragera le commerce et les investissements intra-africains afin de réduire les émissions de carbone considérables résultant de l’externalisation des chaînes d’approvisionnement de l’Afrique. Quelque 85 % des échanges commerciaux de l’Afrique sont extra-africains.
Il serait difficile, je pense, de trouver des failles dans les préoccupations, les affirmations ou les plans bien réfléchis de M. Oramah. Réorienter les recettes tirées des combustibles fossiles vers des industries plus vertes, selon un calendrier mesuré et des critères de référence appropriés, voilà comment l’Afrique peut contribuer à atténuer les dommages causés à l’environnement, à stabiliser les économies vulnérables et à les préparer à la croissance, ainsi qu’à encourager le développement d’une énergie verte à faible teneur en carbone sur l’ensemble du continent. Tout le monde y gagnera.
La création d’une banque africaine de l’énergie a un autre effet, même s’il n’est pas mentionné dans le commentaire de M. Oramah.
Elle réduit notre besoin d’aide étrangère, le pansement traditionnel de la pauvreté en Afrique.
Comme je l’ai écrit dans mes livres et mes éditoriaux, l’Afrique n’a pas besoin d’aide. Elles font plus de mal que de bien en bloquant le potentiel et les opportunités pour les pauvres de s’aider eux-mêmes. Après tout, il est difficile pour les agriculteurs locaux de vendre leurs récoltes, leurs œufs ou leur bétail lorsqu’ils sont en concurrence avec de la nourriture gratuite provenant d’un gouvernement ou d’une institution étrangère.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’un développement des compétences, d’infrastructures et d’environnements favorables pour construire des économies dynamiques – des choses que je crois sincèrement possibles grâce au travail d’une banque panafricaine de l’énergie, dotée de plusieurs milliards de dollars, et au renforcement de ses capacités. La banque africaine de la transition énergétique servira de catalyseur pour les investissements privés. En canalisant ces fonds vers des projets africains, la banque favorisera le développement local et la croissance socio-économique tout en améliorant l’accès à l’électricité pour les Africains ordinaires.
En bref, les Africains se débrouilleront par eux-mêmes et pour eux-mêmes, sans l’aide ou, plus précisément, l’ingérence de l’Occident.
Le commentaire de M. Oramah donne au monde la voix de la raison dont il a tant besoin en ce qui concerne la transition énergétique de l’Afrique. L’approche pragmatique qu’il propose pour la transition énergétique de l’Afrique respecte la nécessité pour la communauté mondiale de ralentir le changement climatique et considère que notre continent a la responsabilité d’aider le monde à atteindre cet objectif vital. Mais elle montre aussi que nous pouvons protéger notre planète et nos populations sans sacrifier les besoins et les priorités de l’Afrique.